Pierre Mabille
" Le voyage merveilleux
Les hésitations du héros, les incantations, les objets magiques, la recherche du livre.
Par une soirée chaude du mois de juin, se sentir terriblement seul dans la grande ville bourdonnante. Être au point inquiétant où l'adolescence prend fin. Tout hier était facile en dépit de la rage impuissante des premières années, de la somme des douleurs par lesquelles se modèle l'enfance. Tout était facile car il n'était question que de vie ou de mort et non du diabolique enchaînement d'usure que comporte la machine - société des hommes . Etre au seuil de la maison noire où doit se gagner l'argent, s'y sentir amené par la personne de qui on attend toute libération : la femme, parce qu'elle demande néanmoins l'élémentaire confort d'un toit, des fleurs et des parures, parce que son sourire se crisperait trop vite à la fatigue des errances.
Être à l'heure où l'homme, en mal de construire, estime nécessaire de fixer dans l'action son désir , de cesser de rêver pour vivre la réalité difficile. En ce moment du choix, moment indéfini du trouble, sans présent ni passé, on se tient au sommet de soi-même, comme le voyageur, parvenu après une course déjà longue, à la cime de la montagne, se redresse pour découvrir au loin l'horizon éloigné des plaines. On aperçoit les destinées des hommes aussi nettement que des routes vues de la carlingue d'un avion. En cet instant d'une intensité presque insupportable, il semble que la pensée soit indépendante de l'être; Elle plane libre comme le ferait un génie de l'air ou du feu, étranger aux sentiments humains, doué d'une implacable conscience et cependant le cœur chargé de tant de désirs, qu'il n'ose avouer,bat trop vite. Alors que la ville enveloppée de bruits laisse monter le parfum des sueurs et des spermatiques sécrétions,n'accepter ni le sommeil, ni la transaction. Refuser de descendre pour rire, de prendre part à la misérable partie qui n'a d'autres risques que celui des accidents, d'autre grandeur qu'une signification historique cachée; savoir que l'on y pourrait gagner comme n'importe lequel, mieux peut-être; mais être déjà lassé des récompenses vaines, vaines parce que les buts sociaux sont atteints au moment où le désir en depuis longtemps évanoui. Et ne pouvoir dormir, ne pas vouloir dormir, se refuser à la voluptueuse plongée dans l'anonyme irresponsabilité cosmique. Espérer l'aventure. Non pas seulement partir aux îles des flibustiers, au centre de la forêt tropicale, comme y incitent le souvenirs des journaux illustrés de notre enfance. Non pas jouer à la libération comme on jouait aux indien s dans les bosquets du parc public, pendant que les mères tricotaient et que les pères, à leur bureau, pointaient des additions. Tenter l'aventure de l'homme, celle dont parlent quelques-uns avec mystère et réticence, à mots couverts, comme d'un secret incomplètement transmissible.
Sentir l'aventure merveilleuse indispensable et scruter ses forces. Se regarder comme un conscrit défilant au conseil de révision, comme un éleveur amenant le cheval au matin de la course. Et si l'on n'était pas assez fort pour résister aux risques du voyage ? Un soir , au bord de l'eau, le découragement et l'ultime plongée ; l'asile où l'on est conduit et muré ( pauvre Vincent ) ; l'hôpital de Marseille où l'on coupe la cuisse ; la prison enfin où la société , reniée, trouve la revanche de ses barreaux. Savoir tout cela, mieux qu'une mère effrayée, mieux que ces vieillards donneurs de conseils dont la sagesse est faite de lâchetés.
S'interroger anxieusement. Si l'on était victime d'une " exaltation momentanée ", comme ils disent, si l'on n'était apte, en fin de compte, qu'aux emplois réguliers de commis ou de général, si l'on ne portait pas en soi l'indispensable prédestination, l'étoile au front ! Rencontrera-t-on le cheval ailé, la fille du roi des génies, l'assentiment d'une nature complice ou sa mortelle indifférence !............."
Les hésitations du héros, les incantations, les objets magiques, la recherche du livre.
Par une soirée chaude du mois de juin, se sentir terriblement seul dans la grande ville bourdonnante. Être au point inquiétant où l'adolescence prend fin. Tout hier était facile en dépit de la rage impuissante des premières années, de la somme des douleurs par lesquelles se modèle l'enfance. Tout était facile car il n'était question que de vie ou de mort et non du diabolique enchaînement d'usure que comporte la machine - société des hommes . Etre au seuil de la maison noire où doit se gagner l'argent, s'y sentir amené par la personne de qui on attend toute libération : la femme, parce qu'elle demande néanmoins l'élémentaire confort d'un toit, des fleurs et des parures, parce que son sourire se crisperait trop vite à la fatigue des errances.
Être à l'heure où l'homme, en mal de construire, estime nécessaire de fixer dans l'action son désir , de cesser de rêver pour vivre la réalité difficile. En ce moment du choix, moment indéfini du trouble, sans présent ni passé, on se tient au sommet de soi-même, comme le voyageur, parvenu après une course déjà longue, à la cime de la montagne, se redresse pour découvrir au loin l'horizon éloigné des plaines. On aperçoit les destinées des hommes aussi nettement que des routes vues de la carlingue d'un avion. En cet instant d'une intensité presque insupportable, il semble que la pensée soit indépendante de l'être; Elle plane libre comme le ferait un génie de l'air ou du feu, étranger aux sentiments humains, doué d'une implacable conscience et cependant le cœur chargé de tant de désirs, qu'il n'ose avouer,bat trop vite. Alors que la ville enveloppée de bruits laisse monter le parfum des sueurs et des spermatiques sécrétions,n'accepter ni le sommeil, ni la transaction. Refuser de descendre pour rire, de prendre part à la misérable partie qui n'a d'autres risques que celui des accidents, d'autre grandeur qu'une signification historique cachée; savoir que l'on y pourrait gagner comme n'importe lequel, mieux peut-être; mais être déjà lassé des récompenses vaines, vaines parce que les buts sociaux sont atteints au moment où le désir en depuis longtemps évanoui. Et ne pouvoir dormir, ne pas vouloir dormir, se refuser à la voluptueuse plongée dans l'anonyme irresponsabilité cosmique. Espérer l'aventure. Non pas seulement partir aux îles des flibustiers, au centre de la forêt tropicale, comme y incitent le souvenirs des journaux illustrés de notre enfance. Non pas jouer à la libération comme on jouait aux indien s dans les bosquets du parc public, pendant que les mères tricotaient et que les pères, à leur bureau, pointaient des additions. Tenter l'aventure de l'homme, celle dont parlent quelques-uns avec mystère et réticence, à mots couverts, comme d'un secret incomplètement transmissible.
Sentir l'aventure merveilleuse indispensable et scruter ses forces. Se regarder comme un conscrit défilant au conseil de révision, comme un éleveur amenant le cheval au matin de la course. Et si l'on n'était pas assez fort pour résister aux risques du voyage ? Un soir , au bord de l'eau, le découragement et l'ultime plongée ; l'asile où l'on est conduit et muré ( pauvre Vincent ) ; l'hôpital de Marseille où l'on coupe la cuisse ; la prison enfin où la société , reniée, trouve la revanche de ses barreaux. Savoir tout cela, mieux qu'une mère effrayée, mieux que ces vieillards donneurs de conseils dont la sagesse est faite de lâchetés.
S'interroger anxieusement. Si l'on était victime d'une " exaltation momentanée ", comme ils disent, si l'on n'était apte, en fin de compte, qu'aux emplois réguliers de commis ou de général, si l'on ne portait pas en soi l'indispensable prédestination, l'étoile au front ! Rencontrera-t-on le cheval ailé, la fille du roi des génies, l'assentiment d'une nature complice ou sa mortelle indifférence !............."
